Je reçus un nouveau courriel le soir.
Mon jardinier inconnu me dit simplement « J’étais derrière vous. Manoir de
Kertalg. » J’étais de plus en plus intriguée. En lisant le mail, je
pensais tout de suite au roman de Nicolas Fargue que j’avais lu l’été dernier.
«J’étais derrière vous ». Mais je compris aux mots qui suivaient qu’il n’y
avait pas d’allusion à ce roman car le nom même du Manoir de Kertalg m’éclaira
vite. J’avais passé quelques après-midi là bas au calme du grand parc arboré,
avec une amie, devant un thé glacé. Peu de monde, hormis les clients de
l’hôtel, venaient dans cet endroit pour y passer un peu de temps l’après-midi.
Moi-même, j’avais été informée de cette possibilité par un ami qui y avait
séjourné. Mon jardinier était donc un jardinier voyageur, sans doute client de
passage de cet hôtel. Il n’était d’ailleurs sans doute pas jardinier. A moins
qu’il ne soit comme moi, un habitant saisonnier de la région venant profiter du
calme quelques après-midi dans cet endroit retiré dans les bois. Peut être
était il paysagiste, travaillant sur les plans d’un nouvel aménagement du parc
de l’hôtel.
Il me revint en tête la conversation que
j’avais eue un après-midi, assise dans un fauteuil confortable, autour d’une
petite table ronde, dans le jardin ensoleillé du Manoir de Kertalg, avec mon
amie. Je lui avais fait part de mon souhait de trouver un jardinier au vu de mon
incapacité à faire de mon jardin un lieu d’épanouissement pour mes plantes. Je
me souvenais alors lui avoir dit de quelle manière j’allais procéder, en passant
une petite annonce dans le journal local. Mais comment cet homme savait il que
j’écrivais ? Je n’écris que sous un pseudo et je ne me souvenais pas avoir
évoqué avec mon amie lors de notre conversation mon nom d’emprunt. Je me
souvenais simplement avoir parlé de la correspondance passionnée de Henry Miller
et d’Anaïs Nin, dont je venais d’achever la lecture. Nous parlions de nos
dernières lectures respectives. Je me souvins alors que mon amie m’avait
demandé si Jacob Miller avait choisi ce pseudo en écho à Henry Miller. Je lui
dis que oui, qu’il avait longuement cherché un nom d’emprunt lorsque nous avons
décidé d’un commun accord de publier en ligne la correspondance érotique que
nous entretenions.
J’avais vu juste. Mon jardinier
inconnu m’expliqua dans un courriel dès le lendemain qu’il avait simplement
tapé les mots « correspondance Jacob Miller » dans un moteur de
recherche, ce qui le transporta très vite vers les pages de mes écrits en
ligne. Il me dit avoir lu ensuite chaque texte que j’avais écrit.
Je sais que mes textes sont lus. Des
lecteurs m’écrivent souvent. Je réponds à chaque demande de correspondance
érotique par la négative, souhaitant laisser à celle de Jacob son caractère
unique et singulier. Cet homme m’intriguait. Je pensais alors à ce lecteur qui
m’avait dit en lisant mes derniers textes que je décrivais sans cesse des
hommes qui étaient étranges et inquiétants mais aussi très attirants. Je
n’avais pas remarqué cela et qui plus est je n’étais pas d’accord avec ce point
de vue. Au fonds, ce qui m’intéresse
chez un homme c’est le plaisir que nous pouvons avoir ensemble, celui qu’il me donne
et celui que je donne. Cette intimité qui amène l’un et l’autre à jouir est la
véritable intimité. Un partage qui est souvent un leurre. L’orgasme se donne à
voir à l’autre mais ne peut pas être complètement partagé. Si la jouissance est
donnée par l’autre, elle n’est ressentie profondément que par l’un. J’aime les
hommes parce que j’aime percer le secret de leur jouissance, chercher ce qui
les fera jouir. J’aime les hommes pour la jouissance qu’ils peuvent me donner.
Les hommes que je décris sont le reflet de leur jouissance, mystérieuse
quelquefois, prétentieuse, ou impérieuse. J’écris pour conserver la trace de
l’intimité que j’ai avec certains hommes.
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