Le regard d'une femme sur elle-même différe tellement de celui de l'homme. (Elina Brotherus)
Lui l'emporte sans l'emmener. Lui la prend sans la tenir. Il l'enlace, l'embrasse, prend sa nuque dans ses mains, empoigne ainsi son cou, puis lâche. Il l'emporte là où elle ne savait pas encore que c'était cela qu'elle aimait. Il sait choisir les livres, les lieux qui correspondent à ce qu'elle a de plus profond en elle. La peau qui frémit sous les lèvres, l'intimité des paroles, des gestes, alors même qu'elle sait qu'il n'y aura jamais de sexe entre eux. Il n'aime pas quand elle dit qu'elle l'aime. Il dit qu'il veut qu'elle soit heureuse avec un autre. Il dit qu'il fait son cinéma quand il est jaloux. Il dit que dire les choses, c'est casser les choses. Il a le pouvoir sur elle de ce qu'il ne donne pas. Elle se rend seule prisonnière d'une liberté qu'il lui donne. Il ne dit rien de lui. C'est un être étrange et mystérieux. Elle ne saura jamais qui il est profondément. Il est à la fois celui qu'il veut être, celui qu'il aurait aimé être, celui qu'il ne sera jamais, celui qu'il est. Lui l'aime sans la vouloir. Un amour différent du sien. Entre l'illusion délirante d'être aimée décrite par De Clérambault et la passion sans issue, elle est une folle amoureuse, entre Adèle Hugo et Emma Bovary. Je crois qu'elle sait aussi qu'elle n'a pas su prendre ce qu'il donnait. Elle ne sait pas finalement qui a le plus souffert de cette relation passionnelle, et si quand bien même elle a existé. C'est dans une boîte qu'elle conserve précieusement toutes les traces, les signes d'une existence. Elle ne voudrait jamais perdre le souvenir des phrases dites car elles sont le souvenir d'une exaltation sans pareil. Elle voudrait ne jamais les avoir vécues pour ne jamais lui avoir fait de mal. Elle n'a pas su rester en retrait, elle n'a pas su conserver en elle-même et en silence ce sentiment si particulier qui existait. Je crois qu'elle a le défaut de toutes les femmes, elle veut posséder l'autre, comme l'engloutir, le garder en elle. Elle s'en est toujours défendue, et je crois qu'elle était sincère. C'était juste un appel du ventre. La même chose dans le sexe, lorsqu'elle ouvre son sexe à l'autre, un besoin aussi fort d'être pénétré que de garder l'autre en soi, pour ne pas le perdre. Comme le désir d'avoir un enfant, cette façon de garder quelque chose de l'autre à jamais. Toutes les femmes sont comme cela. Elle hait avoir été cette femme. Elle n'a pas d'enfant, elle est cette femme vide. Elle ne possède rien qu'elle-même. Elle possède donc tout. C'est lui qui lui a donné cette liberté d'elle-même. Il a été le passeur. Elle lui doit tout ce qu'elle est. Elle lui doit les artistes, elle lui doit l'écriture, elle lui doit l'amitié, elle lui doit la volonté d'être en vie, d'assumer ce qu'elle est et ce qu'elle veut être. Sans jamais avoir été dans elle, il l'a remplie de lui, pour l'amener vers elle-même. Les derniers mots offerts de lui sont ceux écrits par Gustave Flaubert à Louise Colet et imprimés sur un marque-page :"si tu pouvais lire dans mon coeur, tu verrais la place où je t'y ai mise". Elle mesure aujourd'hui ce qu'il lui a donné, sans jamais demander de retour. Elle ne sait pas si c'est une forme d'amour, une forme d'amitié, elle ne sait pas le nom de cela. Elle sait juste que cet attachement puissant existe, malgré les heurts, le temps. Cet attachement en elle éternel et intouchable. L'écriture de ce texte aujourd'hui comme un constat d'avoir trop aimé, d'avoir mal aimé, d'avoir cherché à vivre dans l'absolu.
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