Sur la route qui la mène à la suite panoramique qu'il a réservé dans ce grand hôtel au bord de la mer, elle pense à tout ce qui va se passer. Lui qui l'attend, qui a souhaité être là avant pour l'accueillir. Elle a peur, peur de ne pas être à la hauteur. Elle voudrait qu'il ait beaucoup de plaisir avec elle, que la soirée, la nuit, le matin soient un moment de folie où ils feront ce qu'ils ont envie comme il lui a dit dans un mail. Elle pense qu'elle lui dira peut-être qu'elle l'aime mais qu'elle sublime ce sentiment dans la particularité de la relation intime qu'ils ont ensemble. Elle veut vivre le moment intensément. Elle réfléchit à ce dont elle a envie avec lui. Elle s'est habillée comme il l'a souhaité dans un de ses fantasmes. Elle a apporté dans son sac des petites choses qu'elle lui montrera puisqu'elle ne peut rien lui laisser. Elle traverse le hall luxueux de l'hôtel, prend l'ascenseur pour le dernier étage. Quand il ouvre la porte, il a le visage fermé. Elle n'y prête pas attention tout de suite. C'est plus tard qu'elle se souviendra. Il l'embrasse, lui propose de boire, de manger. Il lui demande ce dont elle a envie en la caressant. Il lui fait l'amour. Il est différent. Elle le sent. Elle ne jouit pas. Un peu plus tard, elle essaie de l'emporter vers ce qu'il aime, qu'elle se caresse devant lui, qu'il se caresse devant elle. Elle sent toujours ce voile de tension, quelque chose d'indicible, qu'elle ne sait pas définir. Elle décide de simuler pour faire baisser cette tension ambiante. Elle ne jouit pas. C'est après qu'il se livre, qu'il lui dit, qu'il lui parle d'elle, de celle qui vit avec lui. Il parle, dit qu'il se sent coupable de jouir, répète que c'était dur hier. Il raconte comment elle lui a dit qu'elle avait besoin de lui. Elle n'est alors plus l'amante, elle est l'amie. L'amie qui l'écoute, le rassure. Elle est la passeuse qui lui montre le chemin pour retrouver l'autre. Elle ne donne plus le plaisir, elle donne l'écoute. Elle fait ce qu'elle sait faire avec les autres, les artistes, les amis, les autres hommes qui lui ont un jour avoué que ce n'était pas elle la première dans leur coeur, ceux qui l'emmènent sans l'emporter, qui la tiennent sans la prendre, qui l'aiment sans la vouloir. Elle ne lui en veut pas. Elle comprend. Elle ne veut pas le voir souffrir. C'est après qu'elle souffre, qu'elle se sent vidée. Elle les déleste du poids de leur angoisse. Elle le prend avec elle. Elle ne sait pas bien si quand elle pleure c'est parce qu'elle doit à son tour évacuer ce poids ensuite elle aussi, ou si vraiment elle souffre de cette relation hybride. Elle essaie de se mettre à sa place et elle comprend. Il est submergé par l'angoisse et la culpabilité. Elle essaie qu'il se sente mieux, avec lui, avec celle avec qui il vit. Elle essaie de se mettre à sa place à elle. Elle lui parle comme si, elle, lui parlait. Elle lui explique ce que, elle, doit attendre de lui. Elle le sent se détendre petit à petit. Elle le déculpabilise. Elle lui explique que peut être le sens de leur rencontre est de lui avoir permis de se recentrer sur l'autre. Elle pense que le déplacement de leur complicité peut leur permettre de se détendre à nouveau et qu'elle peut reprendre sa place d'amante juste un moment. Elle lui propose qu'ils se retrouvent, qu'ils rentrent ensuite ensemble, tente de trouver des compromis. C'est fini. Elle n'a plus sa place. Il est avec l'autre. Il lui demande de partir, de rentrer seule. Lui reste là. Elle est satisfaite de l'avoir aidé mais elle sait aussi qu'elle n'a plus sa place à ce moment, que ce n'est pas à elle qu'il pensera quand elle sera partie. Il lui dit des mots pour lui faire plaisir, voudrait lui faire plaisir. Lorsqu'elle descend dans le hall, le gardien croit qu'elle est une pute venue quelques heures pour faire sa passe. Elle a été l'amie cette nuit pour lui, et pour l'autre aussi. Elle écrit ce texte pour elle-même pour s'aimer elle, pour essayer encore d'en aimer d'autres, pour apprendre à être l'amie ou l'amante sans souffrir.